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Phylloplasties

Acclimatation
Phylloplasties

Les phylloplasties -néologime forgé à partir du grec ancien qui signifie feuille et de la terminaison plastie, comme employée en chirurgie plastique- sont des plantes augmentées d’ajouts artificiels, tentative dérisoire et violente de ramener de l’exostime à des plantes vivantes devenues objets banals. Des plantes colonisées, mais qui s'adaptent et continue à vivre et à pousser.

(...) le terrain de prédilection (de Karine Bonneval) est celui de l’ambiguïté, construit entre dérives du plausible, délires d’anticipation, cas fictifs et réalité surréaliste, hiatus entre prévision et prédiction. Tous ces ingrédients composent le terreau fertile de sa botanique vernaculaire, sa phylloplastie comme elle l’appelle, un art de la bouture extrême, entre mise en garde et doux rêve, un art du contrôle de la nature jusqu’à la contention sadique. Trouble obsessionnel naturaliste, voilà comment on pourrait qualifier la pratique déviante de Karine Bonneval. On ne sait jamais sur quel pied danser dans l’Hortus conclusus qu’elle s’est construit dans le pavillon de la Maréchalerie. Ephémère et gracile serre translucide où d’inquiétantes ombres viennent nourrir l’imaginaire d’un incubateur et des pires manipulations génétiques qui y sont possibles. (...)C’est un philodendron qui a ouvert la voie de ses expérimentations, une plante exotique banale (un comble lorsqu’on y pense), reine des salles d’attente des années 1970 et 1980, gloire aujourd’hui déchue mais qui aura marqué tous les esprits et les grands moments d’ennui. Puis elle s’est emparée de dizaines d’autres plantes bon marché – Anthurium, Epipremnum, Sansevieria ou langue de belle-mère, Tradescantia, Zamioculcas –, élevées à coups de trique en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique, plantes au bilan carbone désastreux (une plante peut-elle alors être écologiquement vertueuse ?) pour sursoir au bon goût de nos pulsions décoratrices. (...)
La phylloplastie de Karine Bonneval n’autorise pas d’avis tranché, pas plus qu’elle même ne s’autorise à donner des leçons de bonne conduite. On se recroquevillerait bien sur le terrain de la maltraitance mais aucun des spécimens n’a ici été torturé, tous continuent leur croissance, nullement gênés par ces nouveaux attributs et falbalas de pacotilles. La nature s’adapte, c’est bien connu. Une petite leçon de chose que l’on aime fréquemment rappeler, façon aussi de se dédouaner des pires vicissitudes qu’on lui inflige. Et de se replonger dans l’Histoire Naturelle de Max Ernst, collection de planches frottées en 1925, centre-trente quatre élucubrations botaniques empruntant à la nomenclature scientifique, aux théories de Darwin, aux visions fantastiques de Camille Flammarion. Karine Bonneval en digne héritière suit son chemin sous l’ère de l’anthropocène . Max Ernst avait nettement pris position par rapport à Ernst Haeckel, l’inventeur de l’écologie en 1866, qui défendait que les productions de la nature relevait de l’art  en affirmant au contraire que le pouvoir démiurgique était entre les mains des artistes. Karine Bonneval prolonge cette histoire « naturelle » en faisant sien le génie botanique.

Bénédicte Ramade, catalogue de l'exposition à la Maréchalerie, 2012